En six ans j'ai eu quinze chats. Plus de deux par an. Impensable. Pourtant c'est vrai. Non je ne les tue pas. Je n'ai pas de chien félinivore non plus. C'est certainement l'un de mes voisins. Ou plusieurs d'entre eux.
J'habite dans un petit lotissement de six villas construit sur un chemin privé. Personne ne se croise vraiment. Les terrain sont grands. Le mien surtout. Avec mon mari nous avions créé un verger, et un potager. Chacun exposé d'une manière différente pour en optimiser le rendement.
Peu après le décès d'Ange (mon mari) j'ai enfin découvert qui massacrait nos chats.
C'était Monsieur Propre. Non ce n'est pas son vrai nom. Il s'appelle Patrick Trurard. Nous l'appelions comme ça parce qu'il lui ressemble drôlement à Monsieur Propre.
Grand, plutôt bien fait de sa personne. Métis, assurément. Ses séances quotidiennes de jogging et de musculation (c'est lui qui me l'a dit un jour en passant devant la maison) renforcent la musculature de ses bras et son torse. Son crâne est lisse. Il porte une petite boucle à son oreille droite.
Il a réchauffé notre lit quand il a débarqué dans le quartier. Qui aurait pu croire que mon Ange rejoindrait les cieux après avoir répondu présent à l'appel que je lui lançais.
Mais aujourd'hui mon lit est froid, et Monsieur Propre ne me fait plus le moindre effet. Surtout depuis que j'ai découvert son petit secret. Lorsqu'il fait son jogging du soir, il porte un petit sac à dos. j'avais toujours cru que c'était sa réserve d'eau. Pas le moins du monde. C'est là-dedans qu'il transporte la mort aux rats qui tue mes chats.
Ben oui. Ces pauvres bêtes sont stupides. Voyez-vous, elles suivent leurs instincts primaires et chassent les rats, souris et autres mulots qui se vautrent dans le compost de Véro Green, la voisine écolo d'en face.
Alors tous les soirs, mon assassin de voisin, va déposer des pains de mort aux rats derrière le tas d'ordures en décomposition de Véro.
J'ai réfléchi quelque temps et je me suis dit que je devais trouver quelque chose pour lui faire comprendre que ses agissements étaient criminels.
Voyez-vous, j'ai toujours été une bonne voisine.
Toujours à donner quelques fruits ou légumes de saison lorsque j'en avais trop.
Toujours à rendre service si je pouvais.
Lorsque j'ai appelé Véro pour savoir si elle voulait bien me faire mon injection annuelle contre la grippe (elle est infirmière), j'en ai profité pour lui offrir un café et des petits biscuits.
Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me raconte sa vie intestinale.
Mais elle l'a fait.
Elle a emménagé il y a deux ans dans notre lotissement. Jamais elle n'avait eu de tels dysfonctionnements. Aucun médecin ne trouvait la source de son empoisonnement au (trouver composant principal de la mort aux rats... sinon l'EdTA fait l'affaire).
C'est là que j'ai fait le lien. La mort aux rats.
Je n'ai rien dit. Mais j'ai pensé très fort à faire payer à ce bon Monsieur Propre sa générosité.
Je me suis procuré le fameux produit.
Et j'ai commencé à baigner tous les fruits et légumes que je lui offrais dedans.
Petit à petit son jogging quotidien s'est fait hebdomadaire, puis mensuel.
C'est le moment que j'ai choisi pour lui transmettre mes amitiés et un prompt rétablissement avec un assortiment des meilleures gourmandises que je prépare. Confiture, pâte de fruits, petits gâteaux...
Quelques jours plus tard, les pompiers et la police ont débarqué.
Le pauvre homme était mort dans d'atroces souffrances, dit-on.
Ils ont bien trouvé les restes de ma confiture.
On décréta la mort par empoisonnement.
Mais comment soupçonner la petite mamie qui n'avait pas d'orangers dans son jardin ?
Bien sûr on m'a posé des questions. Mais sérieusement, qu'aurais-je pu lui reprocher à ce bon voisin ? Il était aimable et souriant. Toujours prêt à rendre service.
Jamais je n'aurais fait ce genre de chose. Et puis... je n'avais aucune raison d'acheter des oranges. Je disposais dans mon verger de tous les fruits dont je pouvais avoir envie.
Et enfin et surtout, rien ne me reliait au meurtre. Je n'avais jamais acheté de mort aux rats...
Yves, le 12 octobre 2016