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Orgasme et ectoplasme

 

 

Eux ! Le savaient-ils qu’un ectoplasme était une « substance, de nature indéterminée » qui prenait « une forme plus ou moins précise » et était « extériorisée par une médium en état de transe » ?

Ils ne le savaient pas. Ils connaissaient le mot, de loin, juste assez pour penser à un truc gluant, cela évoquait le slime de leur enfance. À la limite, ils l’associaient à un ancien cours de biologie où ils avaient passé plus de temps à rêver aux fesses de leurs condisciples qu’au développement de la cellule. Ils se souvenaient éventuellement d’une insulte du Capitaine Haddock. Mais depuis le temps, ils s’en foutaient allègrement. Ils ignoraient donc que « souvent légèrement phosphorescentes, les émanations ectoplasmiques pouvaient parvenir à se condenser et se transformer en mains, visages, et cetera » (Le « etc » va évidemment nous intéresser.)

Bref ils ignoraient tout de cette « manifestation fantomatique » et s’ils en avaient entendu parler, cela n’avait pas arrêté leur attention. Tout cela parce qu’ils n’avaient pas encore pris connaissance de la merveilleuse histoire de Rosalie Vernouche. Mais bon… les pauvres, il y a tant de choses qu’ils négligeaient. Depuis le temps qu’ils se tripotaient la bite, le zob, la queue… Ils étaient pourtant incapables de comprendre que le mot phallus ne désigne « qu’ » une « représentation figurée de l’organe sexuel masculin en érection. » Rien d’autre que l’image d’une bite qui bande. De l’art quoi ! (De là à penser que la merveilleuse histoire de mademoiselle Vernouche sera celle d’une médium apte à faire apparaître une émanation phallique, pff, ce serait un raccourci de lecteur pressé. Non, les choses sont heureusement plus… compliquées.) Inutile d’ajouter qu’ils ignoraient aussi que « pour Lacan, le phallus est le signifiant du manque pour les deux sexes, le signifiant de l’objet perdu, conçu imaginairement comme une complétude béate avec le corps de la mère, l’objet total. ». Voyons ! C’était quoi ces conneries ? Le phallus ou la symbolique du manque ? Ils s’en foutaient, le criaient haut et fort, de la branlette tout ça, des trucs de conne mal baisée, des discours d’intellos frustrés. La seule chose qui les faisait un peu marrer – et encore fallait insister – c’était cette expression d’« objet total ». Et là ils n’avaient pas tort.

Nous y voilà, la merveilleuse histoire de Rosalie Vernouche n’est pas une simple histoire de cul, mais bien celle d’un OBJET TOTAL extériorisé (par une belle médium), car évidemment que Mademoiselle Vernouche était belle. Comment aurait-elle pu vivre la plénitude d’un objet total sans rayonner de l’authentique éclat, la joie paisible inscrite sur son visage de lumière ? Et si eux, ils avaient préféré la beauté perverse ? La pâleur anxieuse des femmes désespérées ? Calmez-vous, Rosalie offrait cela aussi… Voyons, un objet total est forcément total. L’orgasme, grand sujet, brève plénitude, ô chère Mademoiselle Vernouche. Mais eux pff, enfin, ils ignoraient aussi que le mot orgasme venait du grec et voulait dire « bouillonner d’ardeur ». (Quant à Mademoiselle Vernouche, si un jour elle se mettait à écrire, elle tenait déjà le titre de son premier opus, « le bouillon ». Heureusement elle n’en était pas là.)

Où en était-elle ? Assise ou couchée, dans l’herbe chaude du mois d’août généreux, dans l’immaculée blancheur des neiges de février, son ectoplasme était mains, queues et peaux. Au pluriel. Et au présent. De l’enrobement, de l’emballement, Mademoiselle Vernouche s’était emballée, au sens propre, et au sens sale. Oui, être emballée : elle créait du Cristo, mais charnel, pas de plastique, de la chair ! Être engouffrée et avalée, plus que pénétrée et défoncée. Son ectoplasme était le corps de mille hommes qui enfin la calfeutraient. Elle était géniale. Tel le Robinson de Tournier dans sa grotte boueuse, c’était fusion et plénitude. Fini la terreur infinie et le vide affolant. Mademoiselle Vernouche partouzait avec ses ectoplasmes, sa bouche était pleine de doigt, qui lui chatouillaient la langue et l’intérieur des joues, son anus se spasmait de plaisir, et sa peau, sa peau ! vivait. Enfin. Dorlotée, cajolée, la médium se créait les corps nécessaires à remplir son vide qui n’était que Le vide. Et eux ? Ils n’avaient rien compris, ils disaient que ces joies immenses n’étaient qu’affabulations et mensonges de femelle frustrée. Refusant le mot jaloux, ils se branlaient, branler comme une table au pied instable qui énerve les invités coinçant une serviette pliée sous le pied, trop court.

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FPC, le 28 février 2017

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