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Bouillon de culture

Ah la culture qui s’étale sur une plaque de verre fine: l’écran de votre ordinateur quand vous lisez les forums ! Les gens qui connaissent tout sur le bout des doigts : la pêche à la mouche, la religion, la géopolitique, l’économie des régions, l’érotisme allant de l’eau de rose au porno où les grenouilles écartent les cuisses, exhibant leur pénil chauve ; l’autisme, la géographie, la littérature, la psychologie, la théorie du big-bang, et j’en oublie... Quand on passe l’éponge sur la vitre virtuelle et qu’on prélève leurs postillons du savoir, c’est un vrai bouillon de contrevérités, des bactéries qui font rire et des microbes de bêtise. C’est consternant de lire ces gens qui savent tout, ces mémés du post qui tricotent un pull brodé de lettres usées…

Putain, si je m’attendais à penser à elles en me levant hier !

Je partis tôt car il y a toujours du monde dès l’ouverture. Beaucoup de vieux. Ils ont toute la journée, mais ils sont toujours avant vous et vous bousculent dès que le rideau s’ouvre. Ils ne risquent pas de se faire doubler et vous laisser franchir la porte en premier, saisir et arracher le ticket rouge triangulaire et numéroté.

Pourtant, ils pourraient venir à neuf heures et donner priorité aux gens qui bossent.

Ils pourraient…

J’avais donc le numéro neuf alors que j’étais arrivé vingt minutes avant l’heure où les lumières s’allument. Je m’assis et j’attendis qu’on m’appelle, ne sachant pas vraiment comment cela allait se dérouler.

Une première fois. Un peu angoissante. Je n’avais pas le choix…

Le numéro rouge clignota, un joli six retourné sur le grand mur blanc. Une voix métallique me confirma que c’était mon tour. Je me dirigeai alors vers le comptoir, le cœur palpitant.

Après avoir rempli les formalités d’usage et écouté les explications, je dus à nouveau patienter. Quelques minutes où mon stress continua de m’envahir.

Au loin, mon nom vola comme un papillon vers mes oreilles attentives et je suivis la femme assez âgée qui m’invitait vers le long couloir.

La pièce était minuscule, sans fenêtre, quelques petits mètres carrés, une chaise chromée en métal froid, un meuble blanc, une porte vitrée, film adhésif mal posé. Vision trouble au fond du couloir. Discrétion assurée.

Le silence virevoltait dans la pièce, et pendant que j’enlevais mon blouson, la vieille femme remplissait les documents adéquats. Procédures, paperasse…

Plus les minutes passaient, plus j’étais mal à l’aise. L’angoisse me gagnait alors que j’aurais dû me détendre.

Quand elle se retourna pour me détailler la suite des évènements, j’eus envie de fuir. Son visage me rappelait quelqu’un, une forumeuse du site de passionnés d’orchidacées que je consulte tous les jours, me perdant sur les posts divers du forum comme un ver dans le compost, écoutant les complaintes et les énormités déblatérées à longueur de temps. Cette habituée au pseudo de Bulbogrypine parle même parfois de sexualité avec sa copine Orchidée, alors qu’elles n’y connaissent pas grand-chose et n’ont probablement jamais rien fait d’exceptionnel dans leurs vies, à part soigner leurs fleurs.

Je les imagine encore vierges de partout…

Là, avec moi dans ce placard, le portrait craché d’Orchidée. Vieille, moche, le regard froid, antipathique.

Tout ça n’allait pas m’aider.

La femme termina ses explications, quitta la pièce, ferma la porte et je restai comme un idiot à regarder le pot sur le meuble.

Je dirigeai ma main pour fermer la porte floutée à clé et la poignée bascula rapidement après un Toc-Toc presque inaudible.

— J’oubliais, me dit-elle tout bas. Sur la droite, il y a ce qu’il faut pour vous aider… si vous voulez.

— Pour m’aider à quoi ?

— Oui, enfin je veux dire, dans la chemise cartonnée. Un peu de… choses pour… vous voyez quoi ?

— Motivation ?

— C’est ça, ajouta-t-elle en fuyant mon regard, ses joues ridées peintes de rouges.

La porte fut fermée, et je décidai de baisser mon froc pour commencer.

Je n’avais que la tête de cette vieille bique dans mes pensées et je n’arrivais pas à bander. Comment j’allais faire moi pour gicler dans ce pot stérile dont j’enlevai le bouchon ?

J’entendais les numéros annoncés à l’extrémité du couloir et les gens qui marchaient vers les boxes pour leurs prises de sang, leurs prélèvements et examens divers. J’écoutais les portes s’ouvrir, se refermer, les talons claquer, les noms papillonner dans l’air froid du matin.

Je finis par décider l’ouverture de la pochette kaki cartonnée.

Et là, quelle ne fut pas ma surprise…

Je m’attendais à tout sauf à ça !

J’en ri encore…

J’aurais pu trouver le dernier numéro d’automne de Lui 2017 avec la sulfureuse Raica Oliveira photographiée par Gaspar Noe, suivie de l’incroyable Sara Sampaïo par David Bellemere.

J’aurais aimé.

Et bien non !

Dans cette chemise usée par le temps, il y avait deux magazines érotiques de 1970 et 1994 ! Le premier où s’effeuillait Claudia Jennings et l’autre où Elisa Bridges prenaient les poses les plus intimes, nous invitant pour un voyage dans son intimité profonde. Des vieux magazines Playboy, aux feuilles cornées, aux couvertures usées.

Tout en tirant sur ma queue, je ris de l’aventure et je commençai à parcourir les pages du souvenir.

Je me demandai en combien de temps j’allais jouir et surtout si j’allais pouvoir me motiver devant ces clichés aux couleurs un peu passées. Passés dans de nombreuses mains…

La vieille en blouse blanche refaisait surface dans mon cerveau et les discussions sur l’érotisme que j’avais eues avec sa jumelle orchidophiliste polluaient mes envies. Je débandais à vue d’œil !

J’avais beau mater le cul de Claudia et d’Elisa et les imaginer me sucer, je sentais la jouissance s’éloigner. La motivation nécessaire n’était pas du tout là…

Puis soudain, les visages des deux playmates furent remplacés par ceux des deux forumeuses de mon site.

Que m’arrivait-il ?

Je commençais à délirer et les emmener sur les rives de la débauche. J’en avais une en laisse, en string, le cul rougi par mes coups de fouet, à quatre pattes devant moi, couinant comme une truie et l’autre habillée de cuir avec un plug-queue-de-poney dans le cul.

Je les humiliai de la pensée et jouais en plein fantasme honteux. J’exhibais ma cul-ture en mots crus, salissant leurs oreilles chastes.

Ah ce qu’elles ont pris les saintes-nitouches !

Elles en ont découvert des choses avec moi ! Des vices qui ne les intéressaient pas. Avant…

Les longues giclées de sperme ont volé comme des goélands plongeant du bord de la falaise. Le visage de Claudia fut inondé de semence et Elisa eut le dernier jet sur ses gros seins fermes.

Merde ! Le pot !

Marée basse, pas une goutte ! Pas un embrun salé !

J’étais comme un abruti au milieu de la pièce, à observer le résultat de ma fantasmagonie. Une peinture abstraite à l’encre de vie. Un diptyque à triques.

La femme en blanc avait bien dit de me laver soigneusement les mains et le pénis avant le prélèvement, de ne rien toucher, de récolter la totalité de l’éjaculat pour la spermoculture et l’antibiogramme, en mettant bien mon gland dans le cône large du flacon.

Raté…

Pour ne pas passer pour un con, je raclai le visage et le corps de ses deux forumheureuses que j’avais fantasmotriquées comme une bête, je mis tout dans la fiole transparente et me renfroquai.

Engourdi par le plaisir, je posai le pot étiqueté sur le plateau inox avec les documents d’examen.

Alors que je refermais les deux magazines dont les pages souillées allaient rester collées pour l’éternité, je libérai un rire étouffé.

Le résultat des analyses fut sans appel : un bouillon de culture…

Lutécia cendrelle

Le 12 novembre 2017 à 14h56

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