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Gastronomie et compromis

 

 

Pierrot et Astrid s’aimaient. Ils se cuisinaient de merveilleux plats avec du romarin et de l’ail, ils buvaient des vins heureux. Délassés, leurs jambes entrelacées sur le long canapé, ils plongeaient dans des romans policiers sanguinolents en buvant du café mexicain. Ils marchaient sur la plage en écrasant les coquillages que leurs enfants ne ramasseraient pas. Ils n’avaient pas d’enfants. Pierrot et Astrid s’aimaient avec une énergie vindicative. Quand on a que l’amour… Ils jetaient les assiettes et les baisers dans la même volée. Évidemment tout n’était pas rose, c’était le noir et le gris d’un couple sur une unique balançoire un peu pourrie à force d’orages. L’amertume et la rancœur décoraient l’intrigue. Qui sait. Puisque les certitudes les emmerdaient, le moindre de leurs devoirs était de leur rendre la pareille. Ils pourraient aussi se quitter demain s’ils le voulaient. Le pourraient-ils ?

 

Puis il y eut ce soir-là. À cause d’une merde de poulet aux olives. Une invitation. Un collègue à lui. Ils détestaient être invités et étaient organisés pour décliner, ils tenaient carrément une liste, excuses n°1, n°2, n°2 bis jusqu’à 18. Mais voilà, un quiproquo, un malentendu, à qui la faute ? Coincés, et même pas trouvé de mensonge pour annuler en dernière minute. Pas de gosses enrhumés ni de chien à emphysème ni de cave inondée (utilisé deux mois auparavant).

 

Déjà dans la voiture pour y aller, c’était tendu. Pierrot avait traîné, revérifié chaque porte, oublié de sortir le chat, qui était déjà dehors, lu une publicité Aldi avec application, bref ils étaient en retard. Astrid ne disait rien, elle aimait ces silences hostiles. Pour (dé)tendre l’atmosphère, elle avait grommelé pourvu que ce soit pas du poulet aux olives. Il avait répondu si c’est ça je me barre. Ils exécraient le poulet, la volaille en général. Ils s’accordaient tous deux pour dire que le pire du pire était le poulet aux olives. Ils en auraient écrit des discours.

 

Et voilà, c’était un poulet aux olives. En voyant le plat, Astrid avait ri nerveusement, cela aurait pu tourner en un fou rire, malvenu mais complice. Mais non. Pierrot avait fui le regard de sa femme. Le poulet industriel, dur et triste, dans une sauce au citron acide avec des olives géantes et gorgées de vinaigre, était servi. Après avoir recraché la première bouchée, Pierrot s’était levé. Désolé, je me casse, faut pas exagérer. Le grand collègue et sa petite femme habillée en noir avaient ouvert la bouche sur le vide et regardé Astrid qui avait offert un piteux haussement d’épaules avant de rejoindre son compagnon dans la voiture déjà allumée. Il avait démarré sans un mot et deux kilomètres plus tard percuté un camion. Ils étaient tous deux morts sur le coup.

 

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FPC, le 3 juillet 2017

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