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Dingue de dinde : prêt-à-farcir

Noël approche. Pour les fêtes, c’est décidé, je me farcis une dinde. Et Même, j’en ramènerai une à Jacky. On la fourrera ensemble, joyeux réveillon.

Mais j’ai peur des gens… Et à chaque marche de l’escalier pour sortir de ma cave, je changeais d’avis.

– Non, j’y vais pas. Allez, j’y vais. Non, c’est trop dur. Allez, juste pas longtemps.

Enfin, après un long moment de quatre minutes, j’arrive devant la porte. Je l’ouvre et…
– Ouah, sa mère ! La lumière au bout du tunnel ! Ça y est, j’suis mort ! Et au paradis, en plus. Ange ? Anginounet ? Oh ! Les asexués aux ailes de pigeon, je veux une bière !

Non, en fait, c’est juste la soixante-dix watts que je prends en pleine gueule. Trop longtemps dans la cave. J’ai cherché le chien, pour le sortir. J’ai pas de chien.

Alors, je ferme les yeux et, à tâtons (ou plutôt à coups d’orteils dans les meubles), j’arrive jusqu’à la porte d’entrée. Il fait nuit.
Les gens… Les gens… Partout. Au moins trois. Voire quatre. Un jeune homme, l’air distingué, vend des petits chocolats plastifiés à d’autres jeunes. Mais il le fait discrètement. Peut-être qu’il a peur des gens, lui aussi. Parfois, le chocolat a l’air gros. Ah, les gourmands !

Il y a aussi une vieille. Elle a des sacs, de gros cabas blindés. Ça doit être une grande famille, pour faire un tel repas au réveillon. Heureusement qu’un autre jeune homme est venu l’aider. Un garçon courageux. Il mériterait une médaille. Il a tellement voulu prendre soin de la vieille dame qu’il s’est mis à courir pour aller plus vite. Il a même porté son sac-à-main.
Bon, c’est bien beau, mais ce n’est pas ce que je cherche. Je change de rue, je m’éloigne. J’entends des cris. Je m’en rappelle. Le marché de Noël. Alors là, c’est l’horreur. Une foule. Mais une foule ! Des centaines de personnes. Crise de panique. Je pète un plomb. Déjà que je suis en chaussette, je me fous à poil, et je cours en hurlant. J’ai dû faire des kilomètres. J’arrive dans une rue dégueulasse. Certaines vitres des immeubles sont cassés. On dirait des ruines archéologiques des années 80.
je croise un clodo, assis par terre. Pour une fois, je n’ai pas peur. Je m’approche.
– Bonsoir, m’sieur.
– Quoi M’sieur ? Appele-moi Frédo, vieux ! Et toi ?

– Euh… Frédo… C’est que… C’est pas mon credo. Lucas. Mais bon. Voilà. J’aimerais me farcir une dinde. Tu sais où je pourrais en trouver ?
– Ben, y’en a des toute prête au marché !

– Ah !!!!

– Mais qu’est-ce t’as, gogole !?
– Non, pas le marché de Noël. Bon. On fait un deal, je t’offre une bière, et tu vas me chercher une dinde.
– Je ne bois plus, désolé.
– Comment ? Clodo et alcoolo, ça va plus ensemble ?

– Ah non, quand on fut, comme moi, un amateur de Saint-émilion pendant les repas, on a du mal à toucher à autre chose. Surtout de la mer…

– De la mer ?

– Laisse tomber.
– Et si tu venais chez moi ? Bon, j’ai pas de Saint-émilion, mais Jacky, il fait de la goutte maison, tu m’en diras des nouvelles.

– C’est toujours mieux que se geler les miches et de ne pas voir la pourriture de l’année suivante, non ? Allez, on fait ça.
Je lui donne donc mon portefeuille, et lui indique le chemin jusqu’à ma cave.

Une demi-heure plus tard, il arrive. On a foutu de la gnôle sur le bois, parce qu’il allait crever. Et dans une cave, c’est pas top. Bon, ça fait un peu de fumée, enfin…

Sauf qu’il arrive avec une dinde. Une dinde, une vraie, déjà farcie et même encore chaude. Vous savez, les espèces de gros poulet qu’on peut s’y mettre à douze dessus, il en reste le lendemain…. Putain, j’en voulais une justement. Pas de dinde, du con. De putain !
Du coup, on a bouffé comme des porcs. On a bu comme des trous. Et à défaut de dinde, on a eu des brochettes. Et même, Frédo a décidé de rester. Il fera le ménage à deux avec Jacky, et moi, je reste dans ma putain de cave.

 

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Lucas Social, le 22 décembre 2017

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Dingue de dinde
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