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Prostitution et accommodation

 

 

J’avais un ex très ex. Il m’appelait la corde autour du cou, les larmes plein la bouche et gueulait, car tout était de ma faute, il souffrait ! Et moi je l’abandonnais, fausse innocente, vraie salope ! Il me fatiguait, il me lassait. J’ai toujours aimé le suspens. Au début, le chantage au suicide m’avait intriguée. Désormais j’étais over-blasée.

 

Ce jour-là, quand mon portable sonna, je décrochai et adoptai immédiatement le ton efficace.

— Vas-y, mon gros, crève, pour de vrai, parce que là tu m’emmerdes.

— Nan, nan, je te jure. C’est pas pour ça. Écoute, j’ai besoin de toi.

Évidemment comme toutes les connes un peu perverses, j’ai frémi en entendant les mots « besoin de toi ».

— Mmm. Pourquoi ?

— Tu pourrais pas héberger une fille ? Juste une nuit ?

— Hein ?! Pourquoi ?

— C’est une fille qu’est au centre, une gamine, une Albanaise.

Il travaillait au Samu social. Un vrai idéaliste à barbichette et cannabis. Un gars bien, dommage qu’il était colérique. Et allergique au savon. Et au dentifrice.

Mon cerveau offrit à ma bouche la seule réponse évidente.

— Une pute ?

— Ben… euh… …oui.

— Qu’est-ce que tu fous avec une pute albanaise ?

— Écoute, je risque ma place en l’aidant. C’est une pauvre fille.

— Ouais, et alors ?

— Y’a qu’à toi que je peux demander…

— T’es trop chiant. T’en rates pas une pour m’emmerder.

— Je te jure. C’est une gamine. Elle a passé trois nuits au centre. Elle a pas le droit de rester plus. Elle a nulle part où aller.

— Tu te l’es faite ?

— Ben non, tu veux rire ! Je te dis que c’est une pauvre fille.

 

Une heure après, il me dépose la pute.

En effet. Une gamine. Une vraie. Seize ans.

 

Depuis que je suis petite, le métier de pute m’intrigue. « Fasciner » est le bon mot. Déjà le fait que « ça » existe. Ce « ça »-là : des sexes qui se touchent et se pénètrent ! Ensuite que « ça » puisse ramener des sous… Carrément ! Eh ben, franchement à l’époque, « ça » me paraissait une blague. Une toute bonne blague, oui ! Qu’est-ce que j’ai ri quand j’ai compris le sens de ce qu’on m’expliquait. J’avais du mal à y croire. Était-ce bien vrai ?! Se foutait-on encore de ma gueule ? Était-ce juste un autre bobard, genre Père Noël et Cloches de Pâques ?

Sur une route par chez moi, il y avait une maison réputée être « de passe ». Chaque fois que nous roulions par là, je suppliais ma mère de s’y arrêter. Juste une fois. Allez. Juste pour voir. On demande à visiter et on s’en va. Alleeeeeez. Maman. S’il-te-plait.

Quelques années plus tard, petite ado incertaine, je suis rentrée dans la littérature d’adultes avec « le » livre de Kessel. J’avais lu et aimé « La steppe rouge », « L’équipage », aventures viriles, couilles, sueur et honneur. Puis paf, dans mon enthousiasme héroïque, j’avais attrapé « Belle de jour ». Dans ma gueule. Un choc, je découvrais qu’il existait des mots pour dire que l’écœurement pouvait être excitement. Je tremblais en tournant les pages. Pute par ennui, pute par hobby. J’avais trouvé ma vocation.

 

Contrariée. Ma vocation. Les hommes riches me décevaient. Je préférais les amours boiteuses et gratuites. J’aimais avec passion… mon insatisfaction.

 

Puis voilà.

Une pute. Une vraie. De vrai. À ma porte. Enfin !

Je lui aurais déroulé le tapis rouge.

Ma pute. À moi. Chez moi. Trop chouette.

 

Une gamine. Longs cheveux bruns. Tête slave avec pommettes très marquées. Cils ultra maquillés. Et… de l’acné. De l’acné plein la figure, de vrais boutons jaunes qu’on a envie d’éclater en faisant beuh. Et aussi des traces rouges de cicatrices, restes de ces mêmes boutons mal charcutés. Puis surtout un tout petit sourire entre lumière et panique. Un sac de sport Adidas bleu marine, bourré à craquer.

Et l’ex très ex qui me regarde avec un air confus et sincère. Pouvait-il mettre cette fille dehors ? Ben non. Il a bien fait.

 

Ma pute. À moi.

Une gamine ! Ne ressemble vraiment pas à une femme fatale arrogante et perverse. C’est juste un tout petit oiseau pour le chat.

 

Il me résume. Elle s’est enfui. Il ne sait pas comment. Elle refuse d’aller à la police. Il ne peut pas la forcer. Elle a peur. Il a trop de boulot. Elle va rester ici une nuit. Il doit partir. Elle est fatiguée. Il est de garde. Elle me sourit timidement. Il repassera demain.

 

Je lui installe un matelas. Lui montre la douche. Elle parle à l’infinitif.

— Clementina dormir.

— Tu as faim ?

— Oui.

J’ai à peine dix ans de plus qu’elle. Pour la première fois de ma vie, je me sens vieille. Je cours acheter des légumes pour lui préparer une soupe. Elle a besoin de vitamines pour soigner cette vilaine peau.

Quand je reviens de l’épicerie, elle est déjà endormie, je la borde. Pour de vrai. Puis je me roule un pétard.

Bizarrement moi qui suis une angoissée pathologique, une parano chronique, je ne pense pas un instant à la mafia albanaise.

 

(à suivre)

 

(ps : ça finira mal)

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FPC, le 21 mars 2017

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