Meilleur ennemi

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Je le vois toujours inoffensif, celui-là, tel un songe qui s’oublie le matin arrivant, une idée indécise comme l’air. Inexistante. Plus ou moins. Implacable aussi. Essayez donc de ne pas respirer ! Il est la question permanente. Portée par des pleurs lancinants et des cris qui glacent les esprits. Des sanglots qui viennent de chez moi, tout là-bas, du fin fond d’une grotte incandescente, étouffants parfois, entêtants souvent. Intérieurs. C’est un être innocent que je chéris, le descendant de vos vies, et l’ancêtre influent. Tu les accompagnes tous, tu secoues tes membres infimes, bats des mains sous leurs nez, attrapes leurs oreilles, tires sur leurs cheveux, pèses dans leurs bras et griffes leurs visages en sillons de vieillesse. Dieu, qu’on t’en voudrait ! si tu n’étais pas si tendre. Malléable. Relatif. Il est de ces illusions que l’on berce aimablement, comme l’enfant d’un ami, avec patience et tolérance, jusqu’à l’épuisement. Car c’est un ami qui ne reviendra jamais. Et c’est ainsi que je le ramasse non loin de ce qu’il reste de vous. Après que vous vous soyez trop habitué à lui, quand vous avez jeté l’éponge, qu’il vous a enveloppés, écrasés, érodés et aspirés… puis qu’il a recraché vos cendres en filant. Je suis cet ami, vous savez, l’ami d’une fois, le soulagement définitif, je ne suis rien de mieux qu’une respiration dénuée d’air, alors que je vous touche, vous, ramassis soudain libérés du poids qui donne la vie et la reprend. Alors, petits nuages étonnés, je vous relève, et vous lave définitivement de cette ubiquité, évanescente et transcendante, si lourde et si sourde qu’est le Temps. Afin, de mon lit de miséricorde, de vous dissiper vers ce que vous voulez croire. Toujours je lui dis : « Ils sont de gentils garnements ; joue avec eux. » Et il joue. Volontiers. Il est un être innocent. J’en suis la nourrice. La nécessité. Le garant. Pour que rien ne dure plus que lui. Pour que rien ne dure.

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Capitaine Caverne, le 19 janvier 2017

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