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   La tartine de merde

 

 

C'est Lemoine qui m'a conseillé d 'écrire. Ça te ferait du bien de tenir un journal, qu'il a dit, Lemoine. J'ai hoché la tête. Un journal ? « si si ! Prendre conscience de ses problèmes, c'est les avoir en partie résolus ».

Ouais. C'est surtout commencer à les accepter, à se résigner, et ça, me résigner, je veux pas. C'est hors de question. Lemoine, lui – pardon, le docteur Lemoine, puisqu'il est psy – Lemoine, lui, c'est son boulot de faire en sorte que ses patients acceptent leurs problèmes.

 

La vie est une tartine de merde dans laquelle il faut mordre chaque matin. C'est pas de moi, même si j'aurais bien voulu. Ce que l’auteur de cette petite sentence aurait dû rajouter, c'est que pour certains, la couche de merde est largement plus épaisse que la couche de pain alors que pour d'autres, la merde a soigneusement été raclée, le pain lavé. Il y a aussi ceux pour qui la merde est remplacée par le caviar. Moi, c'est de ceux-là que je veux être. Pas que j'aime ça, le caviar, j’ai jamais goûté, on est trop pauvres, mais parce que ça ferait bien chier tous ceux qui se contentent de merde sans rêver à du meilleur. À commencer par mes vieux, tiens !

 

Mes vieux… !

Ce sont eux qui ont contacté cet incapable de Lemoine. Oui « cet incapable ». Pour le tester, je lui ai demandé la différence entre l'école Freudienne et la Lacaniene. Il m'a regardé l'air éberlué et à bredouillé un pitoyable « Heu... » avant de biaiser sur autre chose. Un psy qui ne sait pas ça ! Il a fait quoi pendant ses études ? Mater les gonzesses ? Lemoine a été recommandé à mes parents par les Rapet, leurs grands amis « les Rapet ». La mission de Lemoine : faire tout pour que j’accepte de bouffer la merde sans rechigner et dire merci à la vie. Le « travail sur moi », comme dit Lemoine, ça commence par l’identification de mes problèmes. Comme si je les connaissais pas depuis toujours mes problèmes. Ou plutôt mon problème. Oui « mon » car je n'en ai jamais eu qu'un. Ce problème, c'est la gueule de mon père, cette tronche improbable de bigleux au nez trop gros, au regard globuleux, à la peau éteinte, cette tronche de con qu'il se traîne depuis quarante ans et qu'il n'a pas su garder pour lui et qu'il ma transmise comme une tare avec le reste de mes chromosomes. Putain de gueule.

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Jay Jacule, le 08 mars 2017

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Texte en cours d'écriture

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